Les différentes sources des théories du complot 

8 novembre 2024

Les théories du complot sont de fausses informations (ou fake news) suggérant que quelques personnes – souvent dissimulées aux yeux du grand public – seraient en mesure de planifier “dans l’ombre” des actions nuisibles contre le reste du monde. Certains événements sont ainsi vus comme résultant de ces “complots”. 

On peut évoquer par exemple les théories du complot concernant les événements du 11 septembre : la CIA savait et aurait laissé faire, les tours du World Trade Center auraient été en réalité détruites par des explosifs, etc.  

On peut évoquer également les théories du complot ayant accompagné la pandémie de Covid 19 : le virus n’existerait pas, les gouvernements du monde se seraient mis d’accord pour faire croire à son existence afin de réduire les libertés individuelles… 

Enfin, on peut évoquer d’autres théories du complot plus anciennes et parfois particulièrement farfelues : l’Homme n’aurait jamais marché sur la Lune, le monde serait en réalité dirigé par des hommes lézards, Brigitte Macron serait un homme, la Terre serait plate, etc. Il en existe beaucoup d’autres, comme nous l’expliquions dans un précédent article

Les théories du complot, un paradoxe apparent 

Il peut sembler étrange que de telles théories puissent se propager et rencontrer un écho auprès d’une partie du grand public à une heure où l’information est très largement disponible et accessible. Pourtant, les faits sont là : selon l’article de l’Humanité mentionné ci-avant, jusqu’à 9 % des Français penseraient que la Terre est plate. Selon une étude de l’IFOP, plus du tiers des Français adhérerait à des théories du complot.  

Ces chiffres impressionnants donnent la mesure du phénomène complotiste : celui-ci ne concerne pas qu’une petite minorité de personnes coupées de l’information. Il ne constitue pas un “micro” phénomène mais une réalité d’ampleur… d’autant plus inquiétante que la France est un pays dans lequel l’information circule librement et où les journalistes disposent de protections pour faire leur travail correctement.  

Un recours quand on cesse de comprendre le monde qui nous entoure 

Comment expliquer ce phénomène ? Selon un article publié sur le site du CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), les théories du complot “offrent une explication simple à une réalité complexe ou douloureuse ; elles flattent notre ego en nous faisant croire que nous sommes plus malins que les moutons qui croient à la version officielle.” 

Il en résulte que les “adeptes forment des communautés soudées, motivées, au sein desquelles il est facile de se sentir intégré.” D’autres éléments de réponse nous viennent de Jean-Bruno Renard, professeur et spécialiste de la sociologie de l’imaginaire, auteur notamment d’un Que sais-je sur les rumeurs et légendes urbaines. Dans son article Les causes de l’adhésion aux théories du complot, il distingue deux grandes explications : 

  • Un phénomène général de perte de confiance envers les experts, les savants, les enseignants et l’État, sans oublier les médias, qui a pour effet de déliter les liens sociaux et rend nécessaire la recherche de causes simples à des réalités complexes. Cela permet aux individus de ne pas rester dans une situation d’angoisse ou d’incertitude permanente. Ce phénomène de perte de confiance et de diffusion massive des théories du complot se constate également aux États-Unis, de manière encore plus radicale selon Jean-Bruno Renard. 
  • Des effets liés au sexe, à l’âge, au niveau d’étude et aux convictions politiques. Par exemple, il semble que les jeunes soient davantage concernés que les personnes plus âgées par l’adhésion aux théories du complot. De même, les personnes ayant des convictions politiques proches de l’extrême droite ou l’extrême gauche pourraient être plus sensibles à ces théories que les personnes ayant un engagement politique plus “centriste”. 

L’auteur évoque enfin un processus de “laïcisation des superstitions religieuses” et cite à cet égard Karl Popper : “On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique.” (extrait de l’ouvrage Conjonctures et réfutations). 

On peut résumer en citant un autre chercheur, Julien Giry, docteur en sciences politiques à l’Université Rennes 1 : les théories du complot viennent selon lui “combler un vide, donner du sens à ce qui a priori n’en a pas et donner de la cohérence à l’incohérence. Malgré leur élaboration parfois complexe, elles sont simplistes et trouvent une sorte de cause unique. Elles viennent donner une explication d’autorité.” 

Ajoutons que les théories du complot se développent de manière rapide, en particulier quand les besoins individuels et collectifs sont menacés : c’est le cas avec une épidémie mondiale ou un attentat dont l’impact s’analyse au niveau mondial. Les théories du complot agissent alors comme un recours pour des personnes qui ne comprennent plus le monde qui les entoure et qui ont l’impression de ne plus le contrôler. 

Qui produit les théories du complot ? 

Les théories du complot, comme l’ensemble des fake news, ne tombent pas du ciel… même s’il n’est pas toujours simple de déterminer leur origine. L’article du CLEMI évoqué ci-avant donne à ce propos la précision suivante : “Certaines sont créées de toute pièce dans un but politique : dans les années 1980, les services secrets soviétiques avaient créé et diffusé l’idée que le virus du sida aurait été conçu comme une arme bactériologique par les États-Unis. D’autres apparaissent, de manière plus ou moins spontanée, sans que l’on puisse toujours expliquer précisément pourquoi une théorie “marche” et d’autres non.” 

L’article ajoute : “En revanche, il est clair, depuis désormais dix ans, que les théories du complot “incubent” et se développent principalement sur les espaces de discussion en ligne. Facebook et YouTube ont joué un rôle majeur dans la diffusion de théories du complot, en privilégiant les contenus qui choquent ou suscitent des réactions – ce qui est souvent le cas de la plupart de ces théories.” 

Enfin, cet article précise lui-aussi que les grandes crises favorisent l’émergence de théories du complot… même si celles-ci semblent avoir toujours existé : on a ainsi pu assister à des massacres au Moyen-Âge à la suite d’épidémies, car on exigeait la recherche de “coupables”. Les théories du complot présentent en effet l’intérêt majeur de ne laisser aucune question sans réponse et d’expliquer les événements, même ceux devant lesquels la science reste impuissante. Ainsi, face à une maladie dont on ignore les causes, il est tentant de chercher un bouc-émissaire. 

Ce qui favorise l’émergence et la diffusion des théories du complot 

Face à la complexité du monde d’aujourd’hui, les théories du complot proposent des explications qui sont attractives car elles semblent simples et causales. Elles sont favorisées par un contexte de forte incertitude sanitaire et écologique, sociale et économique mais aussi culturelle.  

Elles sont également favorisées par l’existence réelle de complots ou de scandales dans chacun de ces domaines. Dans l’article des Échos mentionné plus haut, Rudy Reichsadt, directeur de l’observatoire du conspirationnisme à la Fondation Jean Jaurès et fondateur de Conspiracy Watch donne des explications sur ce point : “Maintenir [dans le contexte de la pandémie de Covid 19 ] le premier tour des municipales tout en disant le lendemain qu’il faut se confiner a complètement brouillé le discours. A mon sens, c’était une erreur politique. Il ne faut pas s’étonner que tout le monde n’ait pas compris que la situation était très grave.” 

Il évoque également les “regrets” d’Agnès Buzyn sur la gestion de la crise sanitaire. Ce type de déclaration politique peut en effet brouiller la compréhension d’un phénomène et ouvrir la porte à des théories complotistes. Ajoutons à cela que des personnalités publiques se font parfois les relais de ce type de théorie, à l’instar de Florian Philippot s’exprimant sur le changement climatique. Il n’est malheureusement qu’un exemple parmi de nombreux autres. 

La diffusion des théories du complot est par ailleurs facilitée par des canaux de diffusion extrêmement puissant : internet et les réseaux sociaux notamment. Jean-Bruno Bernard explique sur ce point la chose suivante : “Avec Internet, le conspirationnisme va trouver son support technologique. Le Web s’accorde au relativisme ambiant en mettant toutes les idées – vraies, fausses ou douteuses – sur le même plan. Il va être un formidable moyen de diffusion pour les théories du complot et une tribune pour les leaders conspirationnistes.” 

Les théories du complot sont, enfin, favorisées enfin par certains biais cognitifs déjà évoqués sur ce site, en particulier le biais de confirmation qui consiste à privilégier les informations qui confirment des idées préconçues. 

Comment combattre les théories du complot ? 

Combattre et réfuter les théories du complot est plus difficile qu’il n’y paraît. Selon la Fondation Jean Jaurès qui étudie ce phénomène, le simple fait de parler de désinformation” dans un débat public peut être perçu comme une censure à motivation politique : “un fact check reviendrait en fait à se positionner en arbitre de ce qui constitue la réalité ou non, et risque ainsi d’accélérer la polarisation du débat public.” relève l’étude. Pas facile dans ces conditions de briser la mécanique des théories du complot… 

Une partie de la réponse réside nécessairement dans les comportements individuels : plus que jamais, il est nécessaire de faire preuve d’esprit critique face aux informations qui nous parviennent. Il faut prendre garde à ne pas relayer une information sans en vérifier la source au préalable. Enfin, il est nécessaire de s’informer régulièrement en sélectionnant avec soin ses sources d’information. 

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