Les influenceurs et l’information
En plus des médias dits “traditionnels” (journaux, chaînes de télévision, etc.) sont apparus depuis quelques années de nouveaux producteurs de contenus : les influenceurs. Qui sont-ils ? Quel est leur impact sur l’information ? Quelle confiance peut-on leur accorder ?
Qui sont les influenceurs ?
Le dictionnaire en ligne Larousse définit l’influenceur comme une personne qui “par sa position sociale, sa notoriété et/ou son exposition médiatique, a un grand pouvoir d’influence sur l’opinion publique, voire sur les décideurs.”
On peut estimer dans ce cadre qu’il a toujours existé des influenceurs, à savoir des personnes ayant les moyens et les capacités d’influencer l’opinion publique.
Toutefois, le Larousse donne une définition plus précise pour les influenceurs actuels : “Personne qui, en raison de sa popularité et de son expertise dans un domaine donné (mode, par exemple), est capable d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elle diffuse sur un blog ou tout autre support interactif (forum, réseau social, etc.).”
La notion de popularité sur internet est importante pour comprendre l’ampleur du phénomène, qui a explosé au cours des dernières années : avec l’avènement des réseaux sociaux, certaines personnes ont fait le choix de faire de cette pratique une activité professionnelle. Ils utilisent une plateforme – Youtube, TikTok, Facebook, Instagram, LinkedIn… – pour créer et diffuser des contenus. À la différence des journalistes dont le métier est la production d’information, les influenceurs sont également des diffuseurs. Ce qui signifie une mise en valeur particulière du contenu créé. Ils sont souvent très dépendants des réseaux sociaux sur lesquels ils sont présents.
Leur activité est avant tout commerciale. Leur modèle économique consiste très souvent en la mise en avant de produits ou services à des fins publicitaires. Ainsi, l’influenceur se distingue du vidéaste ou du vulgarisateur qui traite d’un sujet particulier (politique, économique, social, historique…). Les infkluenceurs sont très souvent spécialisés dans un domaine (beauté, voyage, mode, sport…) et ils partagent du contenu en rapport avec cette thématique, sous la forme de vidéos, d’images, de podcasts, etc.
En France, l’activité d’influenceur est encadrée, notamment depuis la publication d’une loi spécifique en juin 2023. Celle-ci vise à protéger les consommateurs. Dans ce cadre, interdiction est faite aux influenceurs de promouvoir certains produits ou certaines causes (actes de santé, de médecine, de chirurgie esthétique, de la nicotine, de l’abstention thérapeutique…). Les influenceurs installés à l’étranger doivent par ailleurs nommer un représentant légal en France.
Une réalité contrastée
Tous les influenceurs n’ont pas la même audience. Il existe des micro-influenceurs·euses qui peuvent avoir quelques centaines d’abonnés et des macro-influenceurs·euses (on parle aussi parfois de “méga-influenceurs”) qui exercent une influence sur des milliers, voire millions de personnes. Certains sont devenues de véritables relais d’opinion, au point parfois de concurrencer les médias traditionnels. À cet égard, on peut évoquer par exemple l’interview du président de la République par les influenceurs MacFly et Carlito.
De même, les influenceurs peuvent gagner des sommes très variables, et ce de différentes manières, notamment via les moyens suivants :
- la promotion d’une marque, d’un produit ou d’un service ;
- la création d’une marque personnelle ;
- la participation à un programme d’affiliation.
Il est difficile de déterminer le “salaire moyen” d’un influenceur, tant la réalité est diverse. La somme qu’ils demandent pour un post est variable et dépend notamment de la taille de leur communauté. Selon certaines sources, un méga-influenceur peut gagner jusqu’à 10 000 euros pour un post spécifique. Le site Superprof précise qu’en 2023, un influenceur gagnait en moyenne 26,30 euros par heure. Encore une fois, cela dépend de la taille de la communauté, du domaine d’activité et de multiples autres facteurs. Certains influenceurs peuvent vivre de leur activité, d’autres doivent exercer un autre métier.
Ajoutons que derrière les mégas influenceurs notamment se cache très souvent une véritable entreprise avec une équipe de plusieurs personnes aux compétences variées. Le modèle économique de l’influenceur est en réalité le modèle économique de son entreprise.
Entre influenceurs et nouveaux médias, des limites parfois floues
Les réseaux sociaux ont fait émerger non seulement des influenceurs, mais aussi d’autres acteurs susceptibles de proposer des contenus au grand public. Et entre contenus récréatifs, de vulgarisation, de promotion de marque… les frontières sont parfois ténues. Prenons l’exemple du vidéaste Frédéric Molas (le “Joueur du Grenier”) : il propose des rétrospectives humoristiques sur des jeux vidéo, tout en étant sponsorisé par des marques spécifiques présentées en début de contenu. Faut-il considérer qu’il s’agit d’un influenceur ?
Dans ce magma de nouveaux contenus et de nouveaux formats sont apparues de nouvelles formes d’information. Le format court et vidéo est souvent privilégié. Par exemple, HugoDécrypte, a créé sa chaîne YouTube où il présente chaque jour brièvement des faits d’actualité en format vidéo. Précisons qu’Hugo Travers – c’est son véritable nom – a été formé à l’IEP de Paris et dispose d’un master Communication, Médias et Industries créatives. Quoiqu’il n’exerce pas la profession de journaliste, son entreprise est soumise aux mêmes règles qui régissent les médias. Il a interviewé Emmanuel Macron, premier président à communiquer sur un média non traditionnel. Cela témoigne de la puissance de ces nouveaux producteurs de contenus.
Brut et Konbini par exemple illustrent bien les fractures entre les médias traditionnels qui ont du mal à se réinventer et les nouveaux médias créateurs de nouveaux codes adaptés à un mode de consommation toujours plus rapide. Konbini mise sur un contenu court comme le célèbre “Fast and Curious” qui permet de générer une forte audience à travers un format original. Le principe est simple : l’interviewé se voit poser plusieurs questions avec seulement deux choix de réponses et il n’a que quelques secondes pour y répondre.
De son côté, Brut propose de petits reportages sur des sujets d’actualité, toujours en format court, sur des sujets de société qui touchent particulièrement les jeunes… ce qui ne peut être fait qu’après une très importante activité data. Rappelons cependant que Brut et Konbini sont bien des nouveaux médias et non des influenceurs.
Précisons enfin que certains médias s’appuient sur des créateurs de contenus : c’est le cas de Mediapart avec Usul. De quoi contribuer à flouter davantage les frontières évoquées plus haut.
Les limites de ces types de contenu
Les contenus créés par ces nouveaux acteurs du web et des réseaux sociaux ont, pour certains, un réel intérêt informationnel. Il est indéniable, par exemple, que la chaîne d’Hugo Travers permet de se renseigner sur l’actualité politique française. De même, de nombreux vidéastes apportent sur l’actualité un regard neuf, décalé, critique, etc. On peut évoquer par exemple Benjamin Brillaud, alias NotaBene sur Youtube, qui a produits de nombreux contenus traitant d’Histoire, et qui a été sollicité pour certaines missions par Amnesty International du fait de sa notoriété et de ses connaissances. Même un influenceur clairement étiqueté comme tel peut produire des contenus intéressants et informatifs en testant un produit ou un service spécifique.
Il faut garder en tête toutefois que ces personnes ne sont généralement pas des journalistes et ne sont de fait pas soumises à une déontologie spécifique comme la Charte de Munich. Il en résulte des limites claires. Par exemple, la Charte met en avant les devoirs et droits suivants :
- “Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.”
- “le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique. “
Avec les influenceurs, ces principes ne sont pas gravés dans le marbre… parfois loin de là, puisque les influenceurs sont souvent dépendants des marques qui les rémunèrent.
À cela s’ajoute un autre problème : les influenceurs et les nouveaux médias ont su tirer leur succès des réseaux sociaux en lançant des contenus courts, exclusivement en vidéos, sur un mode proche du divertissement, avec des témoignages chocs sur des sujets d’écologie, de santé ou de société. La course au clic et au “like” conduit à privilégier des sujets “tape-à-l’œil”, qui ne sont pas traités en profondeur. Les contenus sensationnalistes sont privilégiés parfois au détriment de la nuance et de la qualité journalistique.
Enfin, dernier problème et pas des moindre : celui des fake news. Elles sont légion sur les réseaux sociaux : TikTok est particulièrement concerné… et en la matière, les influenceurs ne sont pas forcément les premiers à se montrer responsables. Certains d’entre eux partagent des théories complotistes : c’est le cas par exemple de Kim Glow qui se faisait le relai de fausses nouvelles sur les prétendus dangers des vaccins anti-covid. Le phénomène prend parfois une ampleur terrible avec des manipulations de masse orchestrées par des États : ainsi, la Chine, qui s’appuie sur un réseau d’influenceurs pour améliorer son image internationale.
Si les réseaux sociaux peuvent donc constituer un nouveau moyen intéressant pour s’informer, il est donc indispensable de garder les yeux ouverts. Il est impératif de savoir qui est la personne derrière un compte TikTok ou Instagram, quels sont ses intérêts et quelle est sa connaissance du sujet sur lequel elle s’exprime. Ajoutons, en conclusion, que les jeunes – promptes à s’informer via les réseaux sociaux – sont la classe de population à protéger en priorité.
Dans ce cadre, il paraît pertinent d’appliquer aux influenceurs et aux nouveaux producteurs de contenus les mêmes règles que celles qui sont actuellement imposées aux médias, en matière de véracité de l’information et de comparaison des points de vue exprimés.
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