Le divertissement dans l’information 

2 septembre 2024

De tout temps, une grande proximité a existé entre divertissement et information… au point que parfois, entre les deux, les frontières se brouillent. Quelles sont les différentes formes que ce phénomène peut prendre ? Quels sont les dangers qui y sont liés ? 

Information et divertissement 

Dès 1863, le titre bon marché Le Petit Journal proposait une information distrayante, entre faits divers, les horoscopes et les chroniques. Surtout, au 19ème siècle, on peut évoquer le phénomène du roman-feuilleton : ce roman populaire est publié par épisodes dans des journaux, l’objectif étant évidemment d’augmenter le nombre de lecteurs et de les fidéliser dans la durée. Quelques romans publiés dans ce cadre sont d’ailleurs restés célèbres : c’est le cas des Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. 

Par la suite, si la pratique se perd, les journaux continuent de proposer à leurs acheteurs des “activités annexes”, qui ne consistent pas en la lecture d’articles d’informations. Ces activités prennent différentes formes : il peut s’agir de la lecture de l’horoscope ou de jeux : mots-croisés, mots-fléchés, jeu des différences entre deux photographies, grilles de chiffres… On notera que très souvent, l’intelligence et l’esprit de déduction du lecteur sont sollicités. Toutefois, nous ne sommes pas stricto sensu dans le domaine de l’information. Ajoutons que certains journaux vont plus loin en proposant à leur lectorat des goodies de toutes sortes ou, pire, deviennent de simples supports pour ces produits. 

On peut noter également qu’un choix peut être opéré dans la hiérarchie de l’information, parfois pour “appâter” le lectorat : par exemple, les faits-divers ou les informations “pratiques” (exemple : quelle tondeuse acheter ?) peuvent prendre une plus grande importance si l’on suppose que cela va plaire aux acheteurs et permettre des ventes supplémentaires. Nous ne sommes pas face à de la désinformation, mais dans le choix de faire de l’information une forme de “spectacle” ou, à tout le moins, de donner à l’information une tonalité attractive. 

D’une manière générale, les entreprises de presse sont “tiraillées” entre deux obligations : celle, morale et déontologique, d’informer, et celle d’être rentable. Le divertissement est censé contribuer au second objectif, et chaque média cherche le bon format. 

Aujourd’hui : infotainment, infodivertissement 

Les journaux ne sont pas les seuls concernés. Le secteur audio-visuel a sa propre approche de l’infodivertissement. Ainsi, dès les origines de l’ORTF, les programmations font la part belle aux émissions culturelles et de divertissement. On reste toutefois dans une logique d’alternance et non de mélange des genres. Peu à peu cependant, le journaliste se rapproche de l’animateur dans certains programmes, au point que les deux fonctions sont parfois fusionnées. Ainsi, Nulle part ailleurs (initialement présentée par Philippe Gildas) est l’une des premières émissions à mélanger information, musique et humour (donc information et divertissement) à partir de 1987. Les Nuls intègrent l’émission, et les Guignols de l’info sont également diffusés. Sans trop de surprise, c’est sur Canal Plus – une chaîne alors plus “corrosive” et “subversive” que les autres – qu’a lieu cette petite révolution.  

L’infotainment se popularise peu à peu et déborde de la seule chaîne Canal Plus. Actuellement, des émissions comme On n’est pas couché (France 2) ou Quotidien (TMC) peuvent être considérés comme de l’infodivertissement. Si on y parle d’information, c’est de manière décalée et ludique. Ces programmes misent le plus souvent sur l’impertinence et le rire. 

Le formidable essort d’internet et des réseaux sociaux permet désormais une autre forme d’infotainment. On peut ainsi considérer que des médias tels que Konbini ou Brut sont à la limite, dans la mesure où ils mêlent marketing de contenu et publicité intégrée. Pour certains contenus, les frontières entre information et divertissement s’en trouvent estompées.  

Mélange des genres : de véritables enjeux 

La question de l’équilibre entre information et divertissement est délicate, un déséquilibre en faveur du divertissement étant questionnable sur de nombreux aspects. 

Concernant le modèle économique d’abord, la question est complexe : ainsi, la publicité très souvent intégrée aux contenus proposés peut faire craindre des dérives, notamment parce que les contenus proposés ne sont pas indiqués comme étant des articles sponsorisés. La première mission d’un média n’est pas, en effet, de vanter les mérites d’une marque, d’un produit ou d’un service.  

La question de l’indépendance des médias s’en trouve soulevée : difficile de se dire objectif si le financement d’un contenu dépend de la mise en valeur d’un acteur privé. Si un tel contenu est diffusé dans le cadre d’une émission d’information, le mélange des genres devient dangereux : promotion et information sont mises sur un pied d’égalité. 

L’éthique journalistique est évidemment au centre des enjeux. Quand le journaliste est également un animateur, qui est réellement “aux commandes” ? Qu’est-ce que le spectateur voit réellement ? De l’information ou un show ? Sans même parler des liens avec les annonceurs, il est évident que dans de nombreux cas, les faits commentés sont sélectionnés pour “plaire” au public. 

Enfin, on peut évoquer le sérieux des sujets traités. Pour prendre un seul exemple, Quotidien traite d’actualité politique, mais c’est bien souvent pour tourner en dérision les hommes et les femmes politiques. Le fond d’un dossier est rarement abordé et les invités sont rarement malmenés, ce que souligne Télémara

Il résulte de tout cela que l’infotainment peut avoir des aspects intéressants : l’humour, par exemple, peut permettre d’aborder certains sujets différemment et de désacraliser des institutions ou des personnes, ce qui est un signe de vitalité pour une démocratie : la caricature doit être permise. En France, les Guignols de l’info ont longtemps joué ce rôle. Néanmoins, le fait de mélanger information et divertissement présente des risques, dont celui de s’éloigner des pratiques rigoureuses qui doivent être celles de la presse. Il est indispensable de consommer ce type d’émission avec un regard critique et de continuer à s’informer autrement. 

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