La viralité des théories du complot
L’attractivité du sensationnalisme
Pourquoi les médias sont-ils friands d’exclusivités et d’informations sensationnelles ? Parce que cela attire davantage le regard et l’attention que des contenus plus classiques ou des “marronniers”. Interrogé sur France Inter, le philosophe Bernard Stiegler avance le fait que “les chaînes de radio et télévision privées choisissent l’information sensationnelle, celle qui fait vibrer la peur, l’angoisse, la pulsion.”
La raison en est simple : “Il semblerait que nous sommes, dans les sociétés industrialisées, naturellement plus attirés par les mauvaises nouvelles. La recherche d’une vie la plus agréable possible nous pousse à nous intéresser à ce qui pourrait déstabiliser notre bonheur. D’où notre envie de savoir ce qui peut nous arriver de pire, afin de l’anticiper.”
D’où le choix du sensationnalisme par des médias soucieux de leurs rentrées d’argent et donc de leurs audiences. Ce phénomène surfe notamment sur les facteurs d’angoisse évoqués par Bernard Stiegler mais aussi sur l’effet de nouveauté et de surprise. Il emprunte parfois à la propagande dans sa mise en place et peut viser une implication émotionnelle du public au-delà de la peur : espoir, compassion, etc. Une information sensationnalise est souvent simplifiée à l’extrême et dépourvue d’analyse. On vise une diffusion rapide et une consommation un peu “névrotique” de l’information ainsi produite.
Les théories du complot : des récits haletants
Peut-on penser que les théories du complot plaisent également pour cette raison-là ? Il est vrai que bien souvent, elles présentent des informations nouvelles, apportant des traitements se voulant différents et alternatifs. On peut supposer qu’elles génèrent une certaine excitation.
Par exemple, il peut être “enivrant” de croire que le Président américain Lyndon Johnson serait l’un des responsables de l’assassinat de son prédécesseur Kennedy, se dire que le destin du monde est en réalité entre les mains d’une société secrète ou encore qu’un virus mortel a été fabriqué par des sociétés pharmaceutiques désireuses de s’enrichir. On peut avoir le sentiment d’être face à un récit haletant d’espionnage “à la James Bond”, ou un scénario conçu par le romancier Dan Brown qui se déroulerait dans la réalité. Cela peut expliquer pour partie la formidable viralité des théories du complot : 17 % des Français pensent que le Covid 19 a été créé en laboratoire de manière intentionnelle.
D’autres raisons, dont le fonctionnement des réseaux sociaux
On ne peut cependant résumer ce “succès” au seul sensationnalisme. Il s’explique aussi par les crises actuelles, auxquelles les théories du complot offriraient de manière paradoxale une forme d’échappatoire, selon un article du Point : “[elles] viennent réenchanter et réordonner le monde en y insufflant de la causalité. C’est ce qui les rend si attractives. Avec elles, tout est clair, transparent, évident, lumineux : les événements dramatiques ont du sens ; le monde, malgré tout, est juste ; les méchants seront punis ; l’existence du complot ne fait aucun doute ; la vérité (pure, éternelle, rayonnante) triomphera.”
Ce besoin d’explications face à des situations qui nous dépassent est également mis en avant par Antoine Bristielle, professeur agrégé de sciences sociales : “En fait, ce genre de théories conspirationnistes se manifeste dans des périodes de crise, car il y a besoin de réponses par rapport à des événements qu’on a du mal à comprendre.”
Il évoque aussi les réseaux sociaux, responsables selon lui de la diffusion des thèses complotistes : “Il y a clairement un effet « réseaux sociaux » : plus on va s’informer par ce biais, plus on va être sensible aux thèses conspirationnistes.”
Les algorithmes des réseaux sociaux sont en effet conçus pour retenir l’attention : pour cela, proposer aux utilisateurs des contenus sensationnalistes – y compris des théories du complot – est une excellente méthode. Chacun est peu à peu enfermé dans une bulle de filtrage et ne reçoit que des contenus supposés l’intéresser. De fait, un utilisateur qui consulte un contenu complotiste se verra proposer d’autres contenus du même genre.
La responsabilité des réseaux sociaux peut ainsi être pointée du doigt. Ils permettent en effet la diffusion de thèses complotistes, alors même que les fake news se répandent en moyenne beaucoup plus vite que les informations avérées.
L’effet de groupe
Enfin, il faut évoquer l’effet de groupe, qui joue également un rôle important dans la vitalité des théories du complot. Loin d’être des « loups solitaires », repliés sur eux-mêmes et sur leurs croyances, les complotistes forment des communautés extrêmement fédérées, se partageant régulièrement de très nombreuses informations.
Ainsi selon un article de France Info, des figures de la désinformation ont imposé leurs récits : c’est à présent de véritables écosystèmes qui existent autour de certaines théories du complot, sachant que des personnalités publiques peuvent parfois y contribuer.
Cela peut également expliquer la forte viralité des théories du complot à notre époque et rend indispensable une attitude responsable : plus que jamais, il est nécessaire de vérifier les informations qui nous parviennent, en particulier avant de les partager.
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