Chaque mois, Be My Media décrypte avec un invité les enjeux liés aux médias et à l’information. Aujourd’hui : David Lacombled, journaliste de formation, membre du conseil d’administration du CELSA Sorbonne Université, et dirigeant du think tank La Villa Numeris. Il revient avec Be My Media sur l’a manière dont les algorithmes sont susceptibles à l’heure actuelle de façonner notre réalité.

Il ne faut pas perdre de vue que les algorithmes restent un outil, rappelle David Lacombled en préambule de son propos : support des plateformes et réseaux sociaux que nous utilisons quotidiennement, ils trient, sélectionnent et classent l’information à laquelle nous avons accès. Mais ce faisant, ils « analysent » nos goûts pour nous proposer ce que nous apprécions. C’est là que niche l’une des évolutions notables de notre temps : l’information revêt désormais un caractère individuelle. Sur Facebook ou sur Google, le fil d’actualités que nous consultons n’est pas identique à celui d’une autre personne.

L’intelligence artificielle vient encore renforcer ce phénomène. Elle est d’autant plus efficace qu’elle peut s’appuyer sur les données que nous mettons en ligne de manière tout à fait volontaire et spontanée dans la plupart des cas (via notamment le phénomène des cookies). In fine, nous nous soumettons ainsi à ces plateformes qui parviennent grâce à cela à capter notre attention et à nous vendre leurs services… et ce en dépit d’une qualité parfois très moyenne des contenus, comme le note David Lacompled en prenant l’exemple de TikTok. Il ajoute cependant que d’autres plateformes plus qualitatives utilisent les mêmes méthodes pour nous proposer ce que nous sommes supposés aimer : ainsi, le « top 10 » de Netflix est personnalisé. Il faudrait donc parler à présent de choix que nous « pensons faire » plutôt que de choix réels.

Les plateformes de contenus contribuent au brouillard informationnel

Autre modification d’ampleur : il est désormais possible et très facile de prendre la parole sur ces plateformes. Non sans une certaine ironie, David Lacompled note que nous sommes tous de potentiels rédacteurs en chefs de nos propres vies, ayant de surcroît adopté les tics et les réflexes des spécialistes des médias.

Il ajoute que ces plateformes, si efficaces soient-elles, ne peuvent se voir attribuer une confiance absolue en ce qui concerne l’information. Mais, de manière paradoxale, alors même que notre confiance globale en ces outils est limitée, nous accordons une grande confiance à notre réseau. Il peut en résultat un véritable « brouillard informationnel » : nous sommes en effet susceptibles de transmettre des informations fausses, parce qu’elles proviennent de notre réseau et parce qu’elles nous ont sidérés ou amusés, etc. Nous donnons ainsi malgré nous une « véracité » à ces fausses informations.

Les enjeux de l’IA

L’IA fait émerger de nouveaux enjeux dans cette réalité déjà complexe. Se pose notamment la question de la rémunération des personnes ayant créé des œuvres ou rédigé des contenus dont se nourrit l’IA. Il est nécessaire par ailleurs de s’interroger sur ce que l’on cède ou non aux IA : refuser de la nourrir avec certaines données, c’est aussi prendre le risque de voir s’effacer certains pans de sa culture.

David Lacombled avance à cet égard que le rôle de l’enseignant est d’ores et déjà fondamental : il lui revient d’accompagner les élèves à utiliser intelligemment ces nouveaux outils et de ne pas se retrouver piégés par eux. David Lacomblet préconise de ne pas interdire ces outils, qui se démocratisent, et de rester vigilants sur les inégalités qu’elles peuvent révéler : dans cette situation comme dans de nombreuses autres, l’environnement social est en effet déterminant. Un enfant accompagné par sa famille à la bonne utilisation de ces outils sera favorisé par rapport à un enfant laissé seul devant ces nouvelles technologies. De manière général, comprendre le fonctionnement de l’IA est primordial pour l’utiliser correctement et en saisir les limites.