La charte de Munich
Qu’est-ce que la charte de Munich ?
La charte de Munich est une référence en Europe pour la déontologie du journalisme et la protection des personnes qui exercent ce métier. Elle a été rédigée par des syndicats de journalistes européens (français, belges, allemands) en 1971. Son objectif : assurer l’indépendance des journalistes face à la pression des entreprises et des États, et doter la profession d’un cadre éthique.
Aux origines de la charte
Les deux décennies qui suivent la seconde guerre mondiale sont marquées par de profonds bouleversements politiques et économiques en Europe de l’Ouest : forte croissance, “baby boom”, crainte d’un affrontement avec le bloc de l’Est… L’époque voit l’émergence d’une génération volontiers contestataire vis-à-vis de l’ordre établi. En France, cela se traduit notamment par le mouvement de Mai 1968.
Le monde de l’information n’est pas en reste. Certains journalistes, marquées par la collaboration et les dérives de la presse sous l’Occupation, militent pour travailler de manière indépendante et dans un cadre éthique défini. Parmi eux, Paul Parisot, syndicaliste, ancien résistant et rédacteur au journal Franc-Tireur qui fut d’abord clandestin. Il sera l’un des rédacteurs de la charte de Munich.
Ce type de revendications se retrouve dans d’autres pays et elles sont relayées au niveau européen. Lors du congrès de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) à Dublin en 1968, plusieurs syndicats français, belges et allemands expriment leur volonté de s’affranchir à la fois des pressions politiques et de la mainmise des « puissances d’argent” sur les médias.
Cela se traduit en 1971 par l’adoption d’un texte, lors d’une conférence organisée à Munich (Allemagne) par l’association des journalistes allemands (Deutscher Journalisten-Verband). Soumis par l’organisation syndicale SJF CFDT, il propose à la fois une définition des droits et des devoirs des journalistes.
Adopté par la Fédération européenne des journalistes, ce texte devient la charte de Munich, connue aussi sous le nom de “déclaration des droits et des devoirs des journalistes”. Elle est signée par de nombreux syndicats et médias en Europe qui choisissent de se conformer à ces principes.
Certains textes de référence existaient déjà, en particulier la charte des devoirs professionnels des journalistes français. Rédigée en 1918, peu après la fin de la première guerre mondiale, elle marquait la volonté de se démarquer de la propagande et d’agir dans l’intérêt du public.
Le contenu de la charte de Munich
La charte a été pensée pour être utile au quotidien des professionnels. L’ensemble de ses articles tient sur une seule page. Ils portent essentiellement sur la déontologie (la vérité, la rigueur et l’exactitude, l’intégrité, l’équité et l’imputabilité), le secret professionnel et la protection des sources d’information des journalistes.
La charte contient 15 articles : 10 énoncent les devoirs du ou de la journaliste et 5 énoncent ses droits. Les dix devoirs permettent de structurer la profession, tandis que les droits permettent de protéger les journalistes.
Le contenu est le suivant.
Les dix devoirs de la charte
- Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité.
- Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique.
- Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents.
- Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents.
- S’obliger à respecter la vie privée des personnes.
- Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.
- Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement.
- S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information.
- Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.
- Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.
Les cinq droits de la charte
- Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés.
- Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu’elle est déterminée par écrit dans son contrat d’engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale.
- Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience.
- L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l’entreprise. Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journaliste.
- En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique.
Source : https://cfdt-journalistes.fr/charte-deontologique-de-munich/
Les signataires
Au départ, les signataires sont des syndicats de journalistes des six pays du marché commun européen (France, Allemagne de l’Ouest, Italie, Luxembourg, Belgique et Pays-Bas). D’autres syndicats européens de journalistes signent également, puis le texte est adopté par la FIJ et opar l’Organisation internationale des journalistes (OIJ).
Depuis la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, les entreprises de presse ont l’obligation de se doter d’une charte déontologique. La Charte de Munich et ses articles font office de référence. Elle est reconnue de manière directe par plusieurs médias, dont Le Canard enchaînée, France Télévision, Médiapart, Rue89, @rrêt sur Image et Slate. D’autres médias ont transposé, précisé et élargi son contenu dans leur charte interne.
Certains ne se sont pas encore dotés de charte déontologique. D’autres ont choisi la voie du “minimalisme”. La jurisprudence a admis qu’en cas d’absence de charte déontologique adoptée en interne, la charte de Munich peut être invoquée en cas de litige.
Quoique non contraignante juridiquement, la charte est régulièrement mise en avant par des journalistes et des rédactions lorsque leur activité est mise en péril d’une manière ou d’une autre. Par exemple, durant l’été 2023, la rédaction du Journal du dimanche a rappelé les principes du texte de 1971 lors de la nomination à la tête du journal de Geoffroy Lejeune, une personnalité marquée à l’extrême-droite : cette nomination laissait craindre une réorientation idéologique de la ligne éditoriale du JDD.
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