Le biais de l’émotion ou biais de l’affect
Sommes-nous rationnels dans nos prises de décision ? La réponse est non : notre esprit est en effet “pollué” par des biais cognitifs, c’est-à-dire des mécanismes de pensée qui altèrent notre jugement. Parmi ceux-ci, le biais de confirmation, qui nous pousse à privilégier des informations allant dans le sens de nos croyances, ou encore le biais du messager, qui nous pousse à analyser l’émetteur d’une information plutôt que son contenu.
Le biais de l’émotion (ou biais de l’affect) fait également partie de ces mécanismes cognitifs qui faussent notre jugement. De quoi s’agit-il exactement ? Tout simplement du fait que nous privilégions souvent les informations porteuses d’émotions fortes. Entre deux informations, notre cerveau aura tendance à “repérer” plus facilement celle qui nous fait éprouver de la joie, de la colère, de la nostalgie, etc.
La presse, évidemment, a bien conscience de l’existence de ce mécanisme cognitif et tente de l’utiliser pour attirer notre attention et, in fine, gagner des lecteurs ou des parts d’audience.
Par exemple, on peut imaginer que la Une du journal L’Équipe du 13 juillet 1998 convoquait des émotions fortes chez les lecteurs potentiels en titrant “Pour l’éternité” et en montrant Zinédine Zidane célébrant la victoire de l’équipe de France en coupe du monde avec Youri Djorkaeff et Emmanuel Petit. On peut supposer que l’emploi de cette image et de mots fort fait résonner chez les amateurs de football la fibre patriotique tout en élevant l’événement au rang de quasi-mythe.
Susciter une émotion n’est pas nécessairement néfaste
La presse sportive n’a pas le monopole de l’utilisation du biais de l’émotion. Journaux et chaînes de radio et de télévision rivalisent bien souvent d’imagination pour attirer notre attention en convoquant nos émotions. Notons que cela n’est pas forcément néfaste. Le fait de “jouer” avec les émotions humaines n’empêche pas de délivrer une information objective, honnête et complète.
Ainsi, lorsque l’écrivain Émile Zola publie son article “J’accuse…” dans le journal L’Aurore en 1898, il cherche évidemment à attirer l’œil du lecteur et à donner vie à un cri qui sera repris dans la rue, mais il n’en développe pas moins un argumentaire redoutable visant à innocenter le capitaine Dreyfus des charges qui pèsent sur lui.
Prenons un exemple plus récent : le journaliste Jean-Michel Apathie, lorsqu’il place au même niveau le massacre d’Oradour-sur-Glane par l’armée allemande en 1944 et les exactions françaises en Algérie, provoque une vague de stupeur et d’indignation. Il n’en reste pas moins qu’il met en avant des faits historiquement vérifiables et insiste sur la nécessité d’un devoir de mémoire qui ne soit pas à géométrie variable.
Précisons enfin que les émotions sont le produit d’une culture, d’une éducation et d’un vécu personnel. En d’autres termes, nous ne réagissons pas tous de la même manière aux mêmes informations. Un titre de presse pourra ainsi provoquer de l’effroi, de la stupéfaction, des attentes spécifiques… ou laisser de marbre. Un titre de presse qui se veut factuel peut susciter en nous une émotion vive, un autre qui serait au contraire travaillé pour nous faire réagir peut nous indifférer.
Quand l’émotion prend le pas
Il n’en reste pas moins que le biais de l’émotion peut nous pousser à privilégier certaines informations “sensationnalistes” au détriment d’autres, potentiellement plus intéressantes ou complètes mais présentées de manière plus sobre.
Notre esprit critique, en effet, a tendance à se mettre en veille lorsque nous expérimentons une émotion telle que la joie, la peur ou la colère. Dans ce cadre, le reste peut être éclipsé. On peut imaginer par exemple qu’un grand nombre de Britanniques ont manqué certaines informations lors du décès de la reine Elisabeth II, et que les événements tels que le 11 septembre 2001 nous ont conduit à mettre de côté le reste de l’actualité du moment…
… et l’on parle là d’informations bien réelles. Le problème est que des contenus émotionnels à très faible valeur informative – voire des fake news – peuvent également avoir pour effet de mobiliser notre attention et, pire encore, de nous pousser à interagir en commentant ou en partageant. Ce sont bien souvent des informations à caractère émotionnel et parfois fausses qui deviennent virales sur les réseaux sociaux.
S’observer pour mieux s’informer
Dans ce cadre, il est nécessaire de faire preuve d’auto-discipline : si un titre de presse nous attire particulièrement, il faut se demander pour quelle raison et quelle émotion cela convoque chez nous. Cela aide à prendre du recul et à faire preuve de discernement sur ce qui nous est présenté. On conserve ainsi plus facilement son esptrit critique face à l’information.
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