Les bulles de filtre algorithmiques
Selon la CNIL, une bulle de filtre est un phénomène “principalement observé sur les réseaux sociaux où les algorithmes de recommandation – qui alimentent par exemple les fils d’actualité des publications susceptibles d’intéresser les utilisateurs– peuvent parfois ne proposer que des contenus similaires entre eux.”
Toujours selon la CNIL : “Ce phénomène intervient lorsqu’un algorithme est paramétré pour ne proposer que des résultats correspondant aux goûts connus d’un utilisateur, il ne sortira alors jamais des catégories connues.”
Mais d’où vient ce phénomène et pourquoi est-il problématique ?
Sélectionner les informations considérées comme pertinentes
Il faut noter qu’à l’origine, la surcharge d’informations sur le web – en particulier sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux – oblige à créer des modes de sélection pour présenter l’information aux internautes. C’est précisément là qu’intervient l’algorithme. Selon le blog du modérateur, celui-ci a pour fonction de « classer les contenus selon un ensemble de règles.”
Dans un article sur le sujet, le journal Ouest France ajoute : “Le travail de l’algorithme est donc tout simplement d’effectuer une sélection parmi les contenus afin de définir ceux que nous verrons en priorité, mais aussi, en un sens, ceux que nous ne verrons pas, car jugés moins importants ou moins pertinents.”
L’article ajoute à ce propos : “L’algorithme vise également à apporter un certain type de contenu en fonction des goûts de chaque utilisateur, qu’il détermine en observant sa navigation.” En d’autres termes, comme précisé en introduction, deux personnes ne verront pas les mêmes informations sur un réseau social. Pour cela, les réseaux sociaux peuvent s’appuyer sur un grand nombre de données, fournies ou non par les utilisateurs.
Un article de la Fondation Descartes note la chose suivante : “Au départ, les informations collectées sur les internautes sont basiques : l’âge, le genre, les contacts ajoutés. Mais les nouveaux médias d’Internet ont intégré plusieurs outils qui permettent aujourd’hui de récolter des informations beaucoup plus précises sur leurs utilisateurs. Il s’agit notamment des boutons de « partage », de « like », « d’abonnement », etc., qui informent les algorithmes sur le comportement en ligne des utilisateurs. Facebook, par exemple, a introduit son bouton « j’aime » en 2009.”
La question des critères de sélection
Dès lors, on comprend toute l’importance des critères de sélection. En effet, ceux-ci déterminent in fine quelles informations verra l’utilisateur. Selon l’article du blog du modérateur évoqué plus haut, tout dépend du réseau social : Instagram, par exemple, privilégierait les interactions : “C’est la raison pour laquelle vous serez davantage exposé aux contenus publiés par des personnes avec qui vous échangez par message, ou dont vous interagissez avec le contenu.”
Sur LinkedIn, c’est l’engagement qui semble être le critère déterminant : “Si les réaction (J’adore, Bravo, Instructif, etc.) sont importantes, c’est le nombre de commentaires qui a le plus d’impact sur la mise en avant d’une publication.” Enfin, TikTok se baserait essentiellement sur les goûts des utilisateurs, tout en donnant du poids aux revisionnages, aux likes et aux commentaires, ainsi qu’aux tendances (par exemple les musiques populaires).
D’une manière générale cependant, c’est bien l’interaction qui est mesurée par les algorithmes des réseaux sociaux. Ouest France résume les choses ainsi : “La pertinence d’un contenu repose sur le taux d’engagement de la publication, c’est-à-dire l’interaction qu’elle génère : plus il y a de personnes qui aiment, partagent ou commentent une publication, plus ce taux sera élevé. Et donc, plus la publication sera mise en avant par le réseau. A contrario, une publication ne faisant pas réagir les internautes sera très peu propagée.”
D’ores et déjà, on peut noter que ce fonctionnement tend à favoriser certains contenus et certaines informations au détriment d’autres. On pourra arguer cependant qu’il existe un certain nombre de “garde-fou”.
- En premier lieu, certains réseaux sociaux s’engagent à faire de la place à la nouveauté, afin que les mêmes contenus ou les mêmes personnes ne “trustent” pas le haut des fils d’information.
- Par ailleurs, les utilisateurs ont généralement la possibilité de réguler leur fil d’actualité afin de sélectionner ce qu’ils préfèrent : c’est notamment le cas avec Facebook depuis 2022. Cela permet de supprimer au moins en partie les publications indésirables.
- Enfin, il existe une protection légale des utilisateurs via la réglementation européenne sur la protection des données. Les réseaux sociaux ne peuvent ainsi pas conserver et utiliser n’importe quelle donnée de leurs utilisateurs.
Un prime aux buzz et aux contenus “qui plaisent” ?
Pour autant, le problème de fond est loin d’être réglé. En effet, le modèle économique des réseaux sociaux repose sur la publicité. Ils ont donc tout intérêt :
- à retenir le plus longtemps possible les utilisateurs
- à leur proposer des publicités ciblées, à partir de leurs centres d’intérêt.
Dans ce cadre, les créateurs des algorithmes ne se donnent pas pour mission de faire découvrir la réalité contrastée et complexe de l’information… au contraire ! Plus l’utilisateur est confronté à des contenus qu’il apprécie et dans lesquels il se reconnait, plus il est susceptible de rester connecté et d’interagir.
Le spécialiste d’internet et militant Eli Pariser, auteur par ailleurs d’un ouvrage sur les bulles de filtre, conclue de cela que tout utilisateur de réseau social finirait par être “enfermé” sans forcément s’en rendre compte.
Il serait soumis à des contenus qu’il apprécie, et l’algorithme éviterait de lui e proposer d’autres qui, pourtant, pourraient apporter un autre éclairage sur sa compréhension du monde.
Le champ d’analyse s’en trouverait réduit. Le Wall Street Journal, qui a enquêté sur TikTok en 2021, en a conclu que ce réseau social fonctionne en “terriers de lapins” : il crée des communautés dont on ne sort plus. Avec un faux compte, le journaliste s’est rapidement rendu compte que plus de 90 % des contenus suggérés concernaient le même sujet. L’essence même des réseaux sociaux conduit à évoluer dans une sphère spécifique et à se couper d’autres informations.
Cela est particulièrement problématique à une heure où 62 % des Français s’informent via les réseaux sociaux.
La question des fake news
Il faut ajouter à tout cela que les contenus présents sur les réseaux sociaux ne sont pas toujours d’une excellente qualité informative, qu’ils sont parfois factuellement faux, voire volontairement mensongers et complotistes. Une étude de 2022 menée par le groupe de défense des droits Integrity Institute et relayé par BFM montrait que les réseaux sociaux (en particulier Twitter et TikTok) relayaient de nombreuses fake news.
Dans les deux cas, cela semble résulter du fonctionnement même de ces réseaux sociaux : “Selon les premiers résultats, Twitter est le champion de la désinformation en raison de sa fonctionnalité principale qui permet aux gens de partager ou de « retweeter » facilement des publications. Quant à TikTok, c’est son algorithme qui est en cause. Ce dernier est capable de repérer les contenus qui vont susciter beaucoup d’engagement et qui vont donc être recommandés aux utilisateurs.”
D’autres réseaux sociaux ont été accusés de favoriser la désinformation. Cela est d’autant plus grave à l’heure des bulles de filtres : des utilisateurs se retrouvent “piégés” dans des sphères où de fausses informations leur sont proposées en boucle.
Une analyse à nuancer
Il apparaît cependant que ce constat doive être quelque peu nuancé. Selon l’article de la Fondation Descartes mentionné plus haut, qui s’appuie sur les travaux du chercheur Richard Fletcher, les réseaux sociaux ne constitueraient pas systématiquement une “prison mentale” pour les individus.
L’article note la chose suivante : “Les individus qui vont sur les réseaux sociaux sans chercher à s’informer sur l’actualité via ces réseaux seraient en fait exposés à une plus grande diversité de sources d’informations que les individus qui ne vont pas du tout sur les réseaux sociaux. […] A rebours de la compréhension de Pariser, Fletcher considère donc que les réseaux sociaux augmentent la visibilité de l’actualité médiatique pour les individus – et ils seraient nombreux – qui ne sont pas particulièrement intéressés par l’actualité. Ces individus y seraient exposés malgré eux, parce que les algorithmes des réseaux sociaux rendent visibles des informations que ces personnes n’auraient pas recherchées par ailleurs.”
Fletcher ajoute que, de manière paradoxale, la personnalisation effectuée par des algorithmes peut amener les individus à découvrir des sources d’information qu’ils n’auraient pas découvert autrement. Enfin, il avance que la polarisation des opinions ne résulte pas forcément du fonctionnement des réseaux sociaux, mais de leur utilisation, en particulier par les médias : le chercheur note que, sur Twitter, les médias appartenant à la même tendance politique se citent beaucoup.
Il conviendrait donc de relativiser le rôle des réseaux sociaux dans “l’enfermement” des individus. Celui-ci pourrait résulter de mécaniques plus complexes que celles avancées en première partie de cet article.
Il n’en reste pas moins qu’à une heure où un réseau social aussi important que Facebook renonce à son programme de fact-checking, il est important de garder les yeux ouverts et l’esprit critique. Il faut être conscient que les réseaux sociaux ne remplissent pas le même rôle que les médias, et que les contenus qui s’y trouvent ne peuvent avoir valeur de vérité absolu. Toute information relayée sur un réseau social, quel qu’il soit doit être vérifiée. Par ailleurs, il est important de s’informer autrement, ne serait-ce qu’en consultant quelques médias en ligne.
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