Le modèle économique de l’information

22 juillet 2024

Dès ses origines, la presse a été confrontée à la problématique de se financer. La question est épineuse : elle implique de trouver un modèle économique stable sans s’inféoder à des puissances étatiques ou financières qui pourraient compromettre une nécessaire indépendance ce jour, les revenus des médias proviennent de trois grandes sources : la publicité, les abonnements et les deniers publics. Comment cette structuration économique s’est-elle déroulée ? Quels sont les défis financiers auxquels les médias ont été confrontés au cours de leur histoire en France ? Quels sont les enjeux actuels ? 

Les origines : de l’imprimerie à la recherche d’un modèle économique 

Avant même de parler de médias, la création massive de livres et de documents écrits et graphiques est rendue possible par les progrès de l’imprimerie. En Europe, celle-ci se développe à partir du 15ème siècle, notamment à la suite des travaux de Gutenberg, qui met au point un appareil fonctionnant avec des caractères mobiles en métal. Les coûts de production baissent considérablement tandis que la vitesse de production augmente. Cela permet une diffusion considérable d’ouvrages dans toute l’Europe. 

Le développement de la presse – et des métiers qui s’y rattachent – est rendu possible grâce à ces nouveaux procédés techniques et l’installation d’imprimeries dans de nombreuses villes. 

Auparavant – notamment au Moyen-Âge et durant l’Antiquité – l’information était diffusée essentiellement par voie orale et parfois au moyen d’affichages et de pamphlets : elle était essentiellement le fait du pouvoir en place et servait à faire connaître les décisions politiques, légales et judiciaires ainsi que les événements considérés comme importants : naissances, décès, mariages, etc. Les Romains, par exemple, diffusaient à certaines époques des Acta diurna (ou “faits du jour”), sous le contrôle d’un magistrat. La “presse”, dans ce cadre, est financée par l’État ou ce qui en tient lieu.

À partir du 16ème siècle, on voit apparaître des brochures contenant souvent des informations contrôlées par le pouvoir en place. La diffusion de l’information est toutefois limitée, notamment par le fort taux d’analphabétisme. Il faut attendre le 17ème siècle pour que la presse commence à susciter l’intérêt du public et c’est au 18ème siècle qu’apparaissent les premiers quotidiens et journaux thématiques. 

Certains de ces journaux sont publiés par des entreprises de taille variable qui, déjà, réalisent leurs bénéfices grâce à la publicité et aux abonnements.

Le métier de journaliste se développe à cette époque et la proximité de la Révolution lui donne ses titres de noblesse, tandis que le modèle économique de la presse se cherche et se structure peu à peu. Citons l’exemple de l’homme d’affaire et journaliste Émile de Girardin : dès le début du 19ème siècle, il expérimente la baisse du prix des abonnements et la publication de roman-feuilleton pour multiplier le nombre de lecteurs. Il augmente par ailleurs la part de la publicité dans les colonnes. Dès les origines, la publicité est donc liée aux entreprises de presse. Celles-ci effectuent des arbitrages entre les demandes et les attentes du lectorat, les prix d’achat et d’abonnement et la place accordée aux encarts publicitaires. 

Ajoutons qu’à partir de la Révolution française, l’État commence à se préoccuper des aides à accorder à la presse. Dès 1796, les entreprises de presse disposent de tarifs postaux privilégiés. 

Les bouleversements des années d’après-guerre 

Peu à peu, les journaux s’imposent comme le principal moyen d’information. On parle, au 19ème siècle, d’un canal d’information de masse. Cette période, qui court jusqu’au début du 20ème siècle, constitue un véritable âge d’or pour la presse. Le succès des journaux est porté à la fois par l’augmentation massive du lectorat et des évolutions techniques qui facilitent leur diffusion. Certaines lois, comme celle de 1881 sur la liberté de la presse, facilitent aussi le travail des entreprises de presse.

Le modèle économique reste cependant le même durant cette période : il s’appuie à la fois sur les abonnements et la publicité. C’est le principe du double marché. 

Les premiers bouleversements viennent avec la Première guerre mondiale (pénurie de papier, mobilisation massive des hommes au front…) et les cartes sont rebattus après 1945 : les journaux clandestins diffusés pendant l’Occupation se structurent, certaines entreprises de presse accusées de collaboration sont saisies, et de nouveaux modèles de journaux connaissent le succès (presse magazine, presse quotidienne régionale…).  

Parallèlement, les journaux doivent faire face à la montée en puissance de la radio, puis de la télévision. Progressivement, les foyers s’équipent.  

Dans les années d’après-guerre en France, radio et télévisions sont entièrement “sous tutelle” de l’État. Via la RDF (Radiodiffusion française), la RTF (Radiodiffusion-télévision française) puis l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française), le service public gère intégralement les grilles de programme, qu’il s’agisse d’informations ou autres (émissions culturelles, etc). 

Le financement est alors intégralement assuré par l’État, au moyen notamment de la redevance audiovisuelle. La publicité est absente des programmes de radio et de télévision. Les journalistes de l’ORTF sont en quelques sortes des “employés” de l’État. 

Vers la fin du monopole d’État sur l’information radiophonique et télévisuelle 

Ce modèle évolue à la fin des années 1960 : l’ORTF reste majoritairement financé par l’État via la redevance audiovisuelle, mais la publicité est progressivement autorisée. Dès 1968, elle va contribuer au financement de l’ORTF. Malgré tout, le pouvoir gaulliste garde la main sur la télévision et la radio, et la redevance demeure dans un premier temps la principale source de financement. Il faut attendre Mai 1968 pour que ce modèle soit remis en cause. L’ORTF est accusée de ne pas couvrir les événements de manière objective et de ne pas donner la parole aux leaders de la contestation.  

Une première libéralisation a lieu sous la présidence de Georges Pompidou (1969-1974), même si l’ORTF demeure contrôlée et financée par le pouvoir. En 1974 cependant, l’arrivée au pouvoir d’une autre famille politique, celle de Valéry-Giscard d’Estaing, ouvre la voie à un démantèlement de l’ORTF, devenu un symbole du contrôle étatique sur la télévision et la radio. Plusieurs sociétés autonomes sont créées pour gérer les stations de radio et les chaînes de télévision, dont Radio France, TF1, Antenne 2 et FR3. Cela facilitera les privatisations à venir. 

Le monopole d’État est maintenu jusqu’au début des années 1980, puis la situation évolue à la suite de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et d’une majorité socialiste : les radios libres (qui émettaient souvent depuis l’étranger) sont officiellement autorisées à diffuser en France et les premières chaînes de télévision privées apparaissent (Canal Plus naît en 1984, TF1 est vendue au groupe Bouygue en 1987). 

Le mode de financement est modifié en profondeur : la radio, d’abord, devient un marché commercial concurrentiel qui s’appuie sur des recettes publicitaires pour fonctionner. De même, les chaînes de télévisions privées se multiplient : elles s’appuient également sur la publicité pour et parfois sur un système d’abonnement (c’est le cas de Canal Plus dont tous les programmes ne sont pas “en clair”). 

Néanmoins, l’État n’abandonne pas totalement le secteur de l’information : via les sociétés Radio France et France Télévision qu’il détient et finance en très grande partie grâce à la redevance audiovisuelle, il reste présent dans le paysage médiatique français, même si la publicité constitue une source de revenus pour ces deux sociétés. 

Deux systèmes cohabitent donc actuellement en France. Par ailleurs, à partir des années 1980, l’État se dote peu à peu d’outils de contrôle et de régulation sur le secteur audiovisuel (ce qui aboutira à la création de l’ARCOM en 2022). 

Précisons également que ces évolutions ne se font pas sans douleur : Acrimed relate ainsi les nombreuses difficultés financières auxquelles sont confrontées les chaînes de télévision, en particulier celles de France Télévision. Enfin, notons que l’État continue d’apporter des aides directes et indirectes aux médias, dans l’objectif de favoriser le pluralisme. Certains journaux – à l’instar de Médiapart – s’opposent à ce système et dénoncent un lien de dépendance des médias aidés avec l’État. 

À ce jour, le modèle de financement des médias est donc multiple : il peut dépendre à la fois de la publicité, des abonnements, ainsi que de la participation de l’État au fonctionnement et des aides publiques. 

Des mutations et de nouveaux enjeux depuis les années 2000 

L’avènement du numérique a fait apparaître de nouveaux acteurs dans le secteur de l’information. Cela a également entraîné une mutation profonde du fonctionnement de la presse. Donnons ici quelques détails. 

Le numérique et le satellite constitue une nouvelle révolution. Cela a amené à la création de nouvelles chaînes, souvent détenus par les sociétés de télécom (SFR, Orange, Bouygue…) qui jouent ainsi un rôle majeur dans la réorganisation du secteur audiovisuel. Le modèle économique repose encore une fois sur les abonnements et la publicité. De plus en plus, on vise une individualisation de la “consommation” télévisuelle notamment : telle personne peut s’abonner, selon ses goûts et ses préférences, à telle ou telle chaîne ou “bouquets”. 

L’émergence d’Internet et la montée en puissance des moteurs de recherche (notamment Google) et des réseaux sociaux amènent de nouvelles problématiques : ces “géants” possède leur propre modèle économique. 

Il s’appuie sur la publicité (Google Ads, Facebook Ads par exemple) mais aussi parfois sur la vente de données, qui pose des problèmes éthiques. Utiliser un moteur de recherche – notamment pour s’informer – peut revenir à donner à ce moteur des informations personnelles qui seront revendues à des annonceurs. 

Autre problème : les moteurs de recherche diffusent désormais – notamment dans leur partie “Actualités” – des extraits d’articles de presse, ce qui pose des questions de droit d’auteur. Si certains accords sont trouvés entre les entreprises qui possèdent ces moteurs de recherche et les éditeurs de presse, les discussions restent compliquées.

Enfin, abordons un problème spécifique à la presse écrite : les journaux, déjà confrontés à une baisse du lectorat, ont dû s’adapter aux nouvelles pratiques et proposer en ligne tout ou partie de leurs contenus. Selon un rapport rédigé en 2007 par Marc Tessier, haut fonctionnaire et ancien président de France Télévision, le problème est triple : 

  • Le temps consacré à la lecture de la presse écrite diminue. 
  • La presse perd son monopole de l’information dans de nombreux domaines (agences et agrégateurs d’informations fournissent des réponses presque en temps réel). 
  • Internet crée de nouveaux usages auxquels la presse ne peut répondre (création de blog, échanges via les réseaux sociaux, etc.) 

Ce rapport note également que la transition numérique a engendré une énorme perte de valeur pour la presse écrite… et ce doublement, puisque les ventes ont baissé et que les recettes publicitaires ont diminué. Ajoutons à cela la concurrence des journaux gratuits – financés exclusivement par la publicité – et l’on comprend mieux les problématiques majeures auxquelles sont confrontés les journaux. 

Cela a évidemment un impact direct sur le métier et les équipes de journalistes et in fine la qualité de la production journalistique. Cet enjeu économique est bien entendu central pour la liberté d’information et le débat démocratique. Si Marc Tessier note dans son rapport que les médias français ont une carte à jouer sur les réseaux numériques pour se réinventer, il est évident qu’ils n’ont pas apporté pour l’heure de réponse suffisante à leurs problématiques de financement, et qu’ils n’ont pas été en mesure de recréer des modèles économiques stables. 

Certains contre-exemples existent : ainsi, le Canard enchaîné – journal satirique – fonctionne uniquement grâce à ses abonnements et il est toujours en 2024 la propriété de ses seuls salariés. Ce type d’exemple demeure cependant rarissime dans le paysage des médias français.  

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