La place des médias dans la démocratie
La démocratie vient de loin. Ses origines remonteraient, dit-on, à la Grèce antique : au cinquième siècle avant Jésus-Christ, Athènes met en place les prémices d’un fonctionnement institutionnel dans lequel les hommes libres (par opposition aux esclaves) peuvent prendre part aux décisions politiques. En 451 avant notre ère, Périclès, stratège, orateur et homme d’État, va jusqu’à mettre en place une indemnité journalière – le misthos – pour les citoyens les plus pauvres exerçant une fonction publique.
On le voit : on s’approche d’une forme de régime politique dans lequel le peuple est souverain. Malgré tout, il en faut plus pour parler véritablement de démocratie. D’abord, il est nécessaire d’opérer une séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, comme cela fut conceptualisé par Locke et Montesquieu. Ensuite, d’autres critères doivent être considérés. En 2005, l’institut Human Security Report Project opère une classification des régimes et propose quatre indicateurs permettant de déterminer la nature démocratique ou non d’un régime politique :
- la manière dont est recruté l’exécutif (élection, nomination, etc.) ;
- les moyens de contrôle sur l’action de l’exécutif (notamment l’existence d’autres pouvoirs) ;
- le respect ou non des droits de l’Homme ;
- la manière dont est traitée la concurrence politique (ce dernier point faisant état de l’existence de la presse comme contre-pouvoir).
D’autres indicateurs existent. Chaque année, The Economist Group – groupe de presse détenant notamment le journal The Economist – établit un classement du niveau de démocratie dans le monde en se basant sur 60 critères. La place des médias est prise en compte. Ainsi, s’ils sont absents ou contrôlés par le pouvoir en place, cela contribue à faire reculer la note du pays considéré.
Une information de qualité est indispensable au fonctionnement démocratique
C’est que les médias jouent un rôle majeur dans le fonctionnement démocratique. Ils renseignent les citoyens et leur permettent d’avoir accès à une diversité d’opinions : la pluralité de la presse et des possibilités d’expression à travers elle pour les politiques est également un pilier de la démocratie.
En période de campagne électorale, la presse joue un rôle de médiateurs entre le peuple et les partis en présence, en donnant la parole aux différents candidats. Les journaux, les radios et les chaînes de télévision font en sorte que chacun puisse connaître le programme des uns et des autres. Ils opèrent un décryptage des mesures proposées et peuvent aller plus loin en sollicitant l’avis de spécialistes (chercheurs, universitaires…).
Précisons par ailleurs qu’en période de campagne électorale, la presse est soumise à des règles spécifiques, notamment pour garantir un équilibre des prises de paroles entre les différents candidats. En France, le contrôle de cet équilibre est assuré par l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, anciennement le CSA), qui assure ainsi le respect d’un principe constitutionnel relatif au pluralisme politique.
L’Arcom assure également au quotidien le respect du pluralisme. Dans les faits, depuis 2018, les prises de parole du Président de la République et des membres du gouvernement sont décomptées du temps total d’intervention (on considère que cela relève du débat public national). Le temps de parole est ensuite réparti entre les différents mouvements politiques selon divers critères (résultats électoraux, nombre d’élus, etc.). Les médias relèvent et “déclarent” à l’Arcom les temps de parole.
Enfin, rappelons que la presse peut révéler certains scandales et certaines pratiques. Cela permet également aux citoyens de se faire une idée sur leurs gouvernants… et aboutit parfois à des événements politiques majeurs.
Ainsi, pour ne parler que de la France :
- en 1985, les révélations du journal Le Monde dans le cadre de l’affaire du Rainbow Warrior mène à la démission du ministre de la Défense de l’époque, au limogeage d’un amiral et au procès de plusieurs responsables ;
- en 2012, les révélations de Mediapart sur le ministre du budget Jérôme Cahuzac – accusé de détenir des fonds non déclarés en Suisse et à Singapour – conduisent à son départ du gouvernement et à sa mise en examen ;
- en 2017, les révélations du Canard enchaîné sur l’emploi fictif de Pénélope Fillon – épouse de François Fillon, premier Ministre et candidat à la présidence de la République – conduisent à la mise en examen de l’homme d’État et à sa condamnation – ainsi que celle de sa femme – en 2022.
Médias et engagement politique
Les médias jouent par ailleurs un rôle significatif dans l’engagement politique. Dans l’ouvrage Médias et démocratie, Julia Cagé – enseignante-chercheuse à l’IEP de Paris et économiste – met en avant le fait que “la probabilité que les individus votent augmente s’ils sont mieux informés”. Elle ajoute : “Aux États-Unis par exemple, l’introduction des premiers quotidiens s’est accompagnée d’une augmentation de la participation […] confirmant ainsi l’intuition d’un Alexis de Tocqueville.” Elle précise enfin que les journaux ne jouent pas seuls ce rôle et que la radio a également contribué à cette politisation.
Outre leur rôle d’information, les médias renforcent donc chez les citoyens le sentiment de devoir civique. De manière générale, ils sont également des vecteurs de diffusion de culture : bien souvent, c’est grâce à la presse que l’on apprend qu’un nouveau musée ouvre, qu’un film sort au cinéma, etc.
Les médias constituent donc incontestablement non seulement un indispensable quatrième pouvoir face au monde politique, mais aussi un “liant” entre les citoyens. Ils sont à ce titre un élément constitutif de la démocratie.
Les limites des médias : l’exemple de la télévision
Pour autant, les médias ne jouent pas toujours leur rôle comme ils le devraient. La télévision en est certainement le plus bel exemple.
Ainsi, dans l’ouvrage mentionné plus haut, Julia Cagé apporte quelques nuances à son propos. La télévision, explique-t-elle, “détourne les citoyens des médias au contenu informatif plus élevé, et leur donne au contraire à consommer davantage de divertissement (« entertainment »).” La chercheuse précise que ce phénomène se constate dès les années 1930 aux États-Unis. Il en résulterait une dépolitisation du citoyen.
Cette affirmation mérite probablement d’être nuancée : souvent “diabolisée”, la télévision constitue malgré tout un moyen de diffusion efficace de la parole politique. Elle demeure aujourd’hui le principal moyen d’informations. Certains auteurs, comme le sociologue et philosophe Gilles Lipovetsy, défendent la théorie selon laquelle l’écran rapproche les citoyens les uns des autres plus qu’il ne les éloigne.
Il n’en demeure pas moins que de nombreux reproches peuvent être adressés à la presse audiovisuelle dans son traitement de l’actualité politique. On peut noter par exemple les règles de répartition du temps de parole qui conduisent les chaînes de télévision à “invisibiliser” certains “petits” candidats en période d’élection.
De même, on peut noter que certains sujets pourtant fonadmentaux, la télévision ne joue pas correctement son rôle. Ainsi, Reporterre notait “le vide abyssal” sur l’écologie lors du débat du second tour de l’élection présidentielle en 2022.
Fake news, concentration et entertainement : des médias “malades” ?
Autre sujet de préoccupation : l’émergence d’internet et des réseaux sociaux dans le monde de l’information. Cela s’est accompagné de la multiplication des fake news. Le journal Ouest France s’appuyait sur une étude menée en 2022 pour révéler que la désinformation est fréquente sur Twitter et TikTok, ainsi que sur Facebook. En cause : des algorithmes capables de repérer quels contenus “sensationnels” vont susciter l’engagement. RCF abonde dans le même sens en insistant sur le fait que les adolescents sont les principales victimes des fake news colportées sur les réseaux sociaux.
La concentration des médias dans certaines mains, en particulier celles des plus riches, constitue un autre problème. France Inter rappelle à cet égard : “En France, onze milliardaires détiennent 80 % de la presse quotidienne généraliste, quasiment, 60 % de la part d’audience en télé et la moitié des audiences de la radio.” Un problème bien réel puisque cela permet au propriétaire de s’assurer de l’influence et de la crédibilité. Malgré les règles déontologiques qui régissent le métier de journaliste, ce phénomène menace l’indépendance des médias selon Oxfam.
De manière générale, cela s’accompagne d’une montée en puissance de l’entertainment… ou “infodivertissement”. Les Inrocks soulignaient à cet égard en 2012 que “les politiques ne craignent pas les journalistes télé”. Et pour cause : entre information et divertissement, la frontière est parfois difficilement lisible. Au risque, peut-être, de faire de certaines émissions des lieux de storytelling et non plus de journalisme. Ce n’est pas sans raison que les hommes et femmes politiques se pressent sur les plateaux de On n’est pas couché ou autres. Ils peuvent s’y mettre en scène et, souvent, échapper au débat.
Ce contexte fait peser un risque sur l’indépendance des médias et leur apport à la démocratie. Certains médias, comme Mediapart ou Le Canard enchaîné, continuent cependant de répondre à ces tendances en révélant les scandales qui agitent la vie politique et en explorant certains sujets qui trouvent peu leur place ailleurs (exemple : la situation des travailleurs en situation irrégulière sur Mediapart, au moment du vote sur la loi immigration). D’autres (Blast, Le Média, StreePress…) naissent précisément pour revendiquer un engagement et des méthodes journalistiques différentes de celles des médias “grand public”.
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